On appellera cela synchronisme ou hasard, hier deux évènements, l’un très médiatisé, l’autre pas, ont concordé.
Le hasard ne fait rien qui n’y soit préparé à l’avance écrivait Tocqueville, et je vous en apporte la preuve grâce à ces quelques lignes.
Hier, j’avais rendez-vous avec Patrick Eveno, maître de conférence à Paris 1 et historien des médias. Nous devions nous entretenir une vingtaine de minutes, dans le cadre d’une enquête sur la presse quotidienne nationale (PQN) ; une enquête que je réalise avec quelques camarades de l’UFR de science politique. Évidemment notre enquête était problématisée autour de la crise de la PQN, et l’arrivée sur la place publique des quotidiens gratuits tels que Métro ou 20 minutes, figurait parmi les enjeux que nous devions tenter d’analyser.
Hasard ou synchronisme, c’est aussi hier, mardi 6 juin, qu’est sorti le premier numéro d’un nouveau quotidien gratuit, du soir cette fois-ci :
Directsoir. L’enquête que mes camarades et moi avions mené avait révélé un manque spécifique à la France, un manque que cristallisait la crise de
France Soir : l’absence d’un véritable quotidien populaire. Outre Manche, le Sun, pour ne citer que ce tabloïd-ci, c’est quatre millions de ventes par jour, six millions de lecteurs quotidiens. La PQN française jouit d’une image d’excellence et il y a eu véritablement un hiatus entre cette image et la possibilité de créer un journal véritablement populaire, si bien qu’aujourd’hui, c’est la gratuité qui offre à Directsoir la possibilité d’exister.
Comme me l’expliquait Patrick Eveno, la France n’a pas su, à la différence des Britanniques, prendre le virage populaire au cours des années cinquante et soixante. La crise de la PQN est donc bien plus ancienne. La France, fantastique muséum en plein air avec de la bonne bouffe, snobe le vulgaire tabloïd anglais, et enfonce sa PQN et sa presse régionale dans l’austérité. Le vent semble avoir tourné avec
Directsoir. N’aurait-il pas tourné avec
Metro et
20 minutes ? Différence fondamentale,
Directsoir comme son nom l'indique n’est pas du matin. De ce critère découle l’ensemble du journal, pas de mots croisés ni de sudokus - qui ont fait le succès des deux autres gratuits - mais de l’information, de la culture, et évidemment du people (n’a-t-on pas le droit de rêver en sortant du boulot ?). Du coup,
Directsoir, c’est aussi le journal que l’on a dans sa main ou dans son sac lorsque l’on rentre à la maison.
Selon la formule de Boloré, à l’origine de ce journal, Directsoir c’est le « quotidien populaire qui incite à sortir du quotidien ». Boloré a lancé Directsoir en la compagnie entre autres de Philippe Labro, un vieux de la vieille des médias populaires (dont vous pouvez voir la bio
ici). Une bonne équipe pour un gratuit de qualité, pas pédant pour un sou, et doté d’une infographie qui offre de multiples ouvertures au lecteur, qui n’est rien de plus que potentiel lorsqu’on lui met le journal dans les mains. Pas d’extravagances, des formes et des encadrés simples, un grand format 29,8 sur 39 centimètres qui permet d’autant mieux de rentrer dedans. Des articles, des citations, et des photos, beaucoup de photos, quatre-vingt par numéro. Le journal se divise ensuite selon quatre séquences : les évènements phares, l’actualité, le sport et la culture, enfin, la vie des people et la télévision. Enfin une diffusion relativement large, 500 000 exemplaires, à la criée, dans quinze villes de France, et un budget impressionant : vingt millions d’euros.
Hier, j’ai donc été agréablement surpris, et heureux de voir qu’une telle initiative ait pu être prise en France. J’ai lu le numéro un, et j’ai quitté la bibliothèque plus tôt pour voir ce que celui d’aujourd’hui donnerait. J’étais dans le quartier des Halles et il m’a été extrêmement facile de trouver le point de distribution, tout le monde avait Directsoir en main, il m’a été donc aisé de remonter à la source. On m’a donné le journal, j’ai levé la tête et j’ai regardé autour de moi. Tout le monde avait les yeux plongés dans les pages du nouveau gratuit. J’ai lu le numéro 2, qui comble d’ironie, s’est permis un pied de nez en saluant la sortie de la nouvelle formule de
France Soir.
Je me félicite en tout cas de l’arrivée de
Directsoir, un véritable quotidien populaire, car comme me le disais M. Eveno : le but d’un journal, n’est-il pas de mettre sur la place publique? Il me disait aussi, que la lecture c’est important, rien à voir avec l’écoute ou la télévision, car « quand on lit on réfléchit ». Je ne saurai être en désaccord avec lui ce soir, et en attendant demain, je vous remercie de m’avoir lu.