Voici une fiche de lecture préparée dans le cadre d’un cours d’informatique de la Licence d’histoire de mon université. Le livre en question est l’ouvrage d’Antoine Prost
Le vocabulaire des proclamations électorales de 1881, 1885 et 1889.
En quelques mots, cet ouvrage, qui est passé pratiquement inaperçu dans l’historiographie française, a constitué un tournant dans le sens où il explorait les possibilités qu’offre l’analyse factorielle pour l’historien. Analyse factorielle ? Je vous vois déjà vous enfuir en courant. Ce n’est pourtant pas si compliqué que ça, et l’outil est extraordinaire. Voilà donc le résumé de ce bouquin. Vous y trouverez les raisons pour lesquelles A. Prost a choisi de travailler sur ces sources que sont les proclamations électorales.
Plus que le contenu de l’analyse, c’est l’analyse elle-même qui est intéressante. Pour plus de renseignements sur les analyses factorielles, dont je ne détaille pas le fonctionnement ici, je vous conseille, comme on me l’a conseillé, le
Que sais-je de Philippe Cibois intitulé
L'analyse factorielle. Pour voir à quoi ressemble un graphique d’analyse factorielle, tappez tout simplement « analyse factorielle » dans google puis allez voir les résultats du côté des images.
Si je mets l’exposé en ligne c’est pour deux raisons. La première, garder une trace, la seconde rendre accessible ce travail à tous ceux qui ont du mal à comprendre l’intérêt de cette pratique, et Dieu sait s’il y en a autour de moi. Mon professeur m’ayant assuré de la qualité de mon travail, c’est sans vergogne donc que je vous le rends disponible. Veuillez au passage excuser les quelques coquilles qui doivent traîner par-ci par-là, je n’ai pas eu le courage de revenir plusieurs fois sur le texte.
Alors, en attendant que je mette prochainement en ligne les résultats d’une analyse factorielle, que j’aurai effectué moi-même (les sources sont les State of the Union Address, de G. Bush à W. en passant par Clinton), je vous remercie de m’avoir lu, que vous continuiez plus bas ou que vous décidiez d’en rester là.
Tout d’abord une courte bio d’Antoine Prost : Antoine Prost est un historien français né en 1933 à Lons-le-Saunier (Jura).
Il suit une formation classique : École normale supérieure de le rue d'Ulm puis obtient l’agrégation d'histoire. Il soutiendra sa thèse d'État en 1975 : Les Anciens combattants et la société française (1914-1939).
Il débute comme professeur de lycée à Orléans, avant de devenir maître-assistant à la Sorbonne. Professeur universitaire à Orléans (1966-1979) puis à Paris-I depuis 1979, Antoine Prost est un historien de la société française au XXe siècle à travers l'étude des groupes sociaux, des institutions et des mentalités, notamment.
Spécialiste des questions d'éducation, il collabore à plusieurs reprises à la définition des politiques d'éducation depuis 1964.
Il a dirigé également le Centre de recherches sur l'histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme, devenu le Centre d'histoire sociale du XXe siècle..
Malgré ses nombreuses activités à Paris, Antoine Prost se veut résolument « provincial ». Il réside toujours à Orléans, ville dont il fut maire-adjoint. Il est président de l'association Le Mouvement social et de l'Association des amis du Maitron.
Les sourcesOn ne définit pas le vocabulaire politique comme étant un champ fermé car « ce que nous cherchons, c’est précisément ce que nous ignorons ». Le vocabulaire politique est défini par sa situation politique, donc il y a des vocabulaires politiques, chacun relatif à sa situation particulière.
Si Antoine Prost et son équipe ont choisi ces professions c’est pour plusieurs raisons :
- Il s’agit des situations de communication politique les plus larges, aussi large que le corps politique.
- On est obligé d’y parler pour tout le monde, ce qui simplifie l’interprétation des différences que présente leur vocabulaire.
- On ne se pose pas le problème du genre littéraire : il est homogène.
- Le public est identique pour tous les candidats.
- Le sujet est central : la politique, par-delà de toutes les politiques partielles.
Ce choix des sources est particulièrement rigoureux et donc potentiellement riche en résultats.
Objectif viséCitons Antoine Prost : « l’apport de la lexicologie est de systématiser cette recherche des contenus implicites des textes » : mettre en valeur les sous-entendus volontaires et inconscients avec un but : une meilleure connaissance des mentalités et des attitudes latentes.
Méthodes et matériel utiliséAntoine Prost et son équipe ont utilisé deux outils méthodes pour analyser ce lexique : l’inventaire et l’analyse structurale.
L’inventaire lexical c’est la fréquence des emplois des mots, c’est la préoccupation centrale puisqu’il va dégager la base sur laquelle on va travailler dans le cadre de l’analyse structurale.
I – Elections de 1881, 1885, 1889 : l’analyse statistique du vocabulaire des proclamations électoralesA – la méthode : inventaires comparatifs et statistiquesPour en revenir à l’inventaire. Chaque mot étudié ne donne pas par sa fréquence dans les proclamations de sens à cette présence. Pour voir quel sens il pourrait avoir il faudrait le comparer à d’autres termes du même registre (
France, avec
pays,
nation ou
patrie). Ensuite il faut chercher à savoir si l’emploi de ce terme correspond à une opinion.
Pour ce faire, A Prost a décidé de ne pas se contenter d’un inventaire global, mais de réaliser deux inventaires partiels, l’un de droite et l’un de gauche. Cette division est un choix on aurait très bien pu en choisir une autre mais dans le cadre d’une analyse du vocabulaire politique, il allait presque de soi de faire une distinction politique.
Le dernier problème dans la définition des sources étudiées c’est le problème de l’ampleur de ces sources, il fallut donc trouver un système qui permettait de travailler sur des échantillons et qui respectait bien un maximum de caractéristiques de l’ensemble de la source au départ. Deux solutions s’offraient à A. Prost : la technique des strates, on divise les proclamations en groupes selon les orientations et les appartenances des députés et l’on en étudie les proclamations de manière proportionnelle par rapport au tout ; soit on peut utiliser la méthode dite de saturation qui consiste à dépouiller les échantillons et à dresser une liste des fréquences de vocabulaire et de se cantonner à cette liste une fois qu’elle est stabilisée. Pour eux elle s’est stabilisée autour de 5000 mots.
C'est ce qu'on appelle l'utilisation de la méthode à fréquence contrastée.
Caractéristiques statistiques de ces professions de foi :
Le vocabulaire est tout aussi riche à droite qu’à gauche et c’est une constante dans le temps : 1881, 1885, 1889.
La gauche emploie plus de substantifs et d’adjectifs que la droite et toujours moins de verbes et d’adverbes que la droite, on a donc une gauche que l’on pourrait qualifier de « substantive » et une droite qui serait elle « verbale ».
B – Le vocabulaire de 1881L’étude du vocabulaire de 1881 donne déjà des résultats intéressants.
Tout d’abord concernant le vocabulaire absent ou marginal.
Premièrement le vocabulaire absent, ou presque, est celui des étiquettes politiques. « dire clairement qui l’on est c’est risquer de perdre des voix ».
Opportuniste,
opportunisme,
socialiste,
bonapartiste,
monarchiste sont pratiquement absents. On leur préfère les termes de
républicain ou
conservateur.
Deuxièmement, le vocabulaire des classes sociales est très marginal (
ouvrier,
paysan,
agriculteur), on préférait parler d’
électeur ou de
citoyen.
On a une répartition des termes assez classique finalement compte tenu du clivage choisit :
république est à gauche,
religion et
agriculture sont à droite.
Les idéaux de la République sont marginaux eux aussi, du moins
fraternité, qui n’apparaît nulle part,
égalité qui n’apparaît que très peu, alors que
liberté apparaît 31 fois à gauche et 53 fois à droite, ce qui est beaucoup.
Autre vocabulaire marginal, et on pouvait s’y attendre c’est le vocabulaire des générations, les mots
jeunes,
adolescents,
vieillards,
vieillesse.
Enfin, le vocabulaire de la revanche contre l’Allemagne est quasi-inexistant.
Intéressons-nous maintenant au vocabulaire commun.
Évidemment en tête du vocabulaire commun on a les mots outils du français fondamental, puis, et c’est plus intéressant, le vocabulaire électoral de base (
gouvernement,
ministère,
majorité,
mandat etc…). Ce vocabulaire lorsqu’il est politico juridique est à gauche. Donc Gauche et Droite ne diffèrent pas seulement dans leur orientation mais bien aussi par leur approche même de la politique.
Autre part du vocabulaire commun, celui des impôts, de la fiscalité, présent en parts égales à droite comme à gauche.
Enfin, regardons maintenant le vocabulaire qui diffère.
Ce vocabulaire dépeint deux climats clairement différents. D’un côté, une droite pessimiste qui utilise le vocabulaire de la menace et du danger, et à gauche on remarque l’expression de valeurs dont la fréquence exprime la certitude, tout autant que la métaphore de la voie, de la route, du progrès : en somme celui d’une œuvre à achever.
Des thèmes distincts à droite et à gauche.
À droite la politique extérieure, la religion, la famille. À gauche, le vocabulaire des institutions, des idées abstraites, de l’ordre de la philosophie de l’Etat.
Il y a aussi des termes que l’on ne peut classer ni à droite ni à gauche :
Liberté,
révolution,
droit,
principes,
pays,
France,
nation,
patrie.
On a pu voir ici que l’analyse statistique permettait d’atteindre des mentalités ignorées, lorsqu’elle s’attaquait à des termes ignorés. Il faut donc voir pour les autres élections s’il s’agit de tendances accidentelles ou profondes.
C – Le vocabulaire de 1885L’élection de 1885 est particulière. Le scrutin de liste est départemental, il s’agit donc de professions de fois collectives, dont A. Prost suppose qu’elles estompent les idées propres à chaque colistier pour traduire des dénominateurs communs.
3 listes à étudier : union des droites, liste républicaine modérée et liste radicale.
Union des droites, donc une gauche et une droite qui sont moins inégales.
Qu’est-ce qu’il a pu remarquer ?
Premièrement des thèmes nouveaux. À l’initiative de la Droite, le vocabulaire de la contestation.
Il se trouve lié à deux domaines : la politique économique, et la politique coloniale.
Cela se traduit aussi par un glissement vers la droite des thèmes nationaux ou patriotiques.
Des thèmes nouveaux oui, mais aussi des thèmes persistants.
Toujours à gauche le vocabulaire des institutions, et à droite celui de la religion.
L’analyse du vocabulaire de 1885 permet aussi de déceler des mentalités différentes.
La droite est toujours caractérisée par l’expression de son pessimisme, d’idées à valeur morale telles que la
faute, la
morale et le
dévouement. La Gauche elle parle d’action et d’idées et la réalisation et de l’accomplissement de ces idées.
Dans ce chapitre A. Prost se livre aussi à une analyse des divergences entre radicaux et opportunistes.
Les radicaux se caractérisent par leur originalité au sein du bloc de gauche qui se traduit par des critiques en matière de politiques économique et coloniale. Se distinguent dans leurs proclamations deux épithètes, le premier étant
petit, le second
démocratique.
Par ailleurs, les radicaux se nomment et prônent davantage le
suffrage universel.
Pour les opportunistes, la référence majeure est la référence à la
République, leur politique est
républicaine, et ils parlent davantage de
programme que les radicaux.
En 1885, deux oppositions, majeure et secondaire : droite/gauche ; radicaux/opportunistes.
D – Le vocabulaire de 1889Les élections ont lieu les 22 et 29 septembre et furent dominées par la question du boulangisme. Il y avait eu des élections partielles à Paris le 29 janvier qui furent un succès pour le général Boulanger. Cela conduisit la majorité à prendre des précautions pour les élections de septembre, précautions qui se traduisirent par trois mesures :
- renoncement au scrutin de liste, et retour au scrutin uninominal dit scrutin d’arrondissement.
- l’interdiction des candidatures multiples, pour interdire à Boulanger de se présenter dans tous le pays et donner ainsi à l’élection le caractère d’un plébiscite national.
- Enfin, en août, jugement et condamnation de Boulanger.
L’échantillon est donc constitué à droite de conservateurs et de boulangistes, à gauche des opportunistes et des radicaux, toujours.
C’est à droite qu’apparaissent des traits nouveaux, en plus de la permanence des autres thèmes constants au cours des trois élections, thèmes constants comme la religion.
Le nationalisme apparaît en force, mais en réalité si on compare avec les élections de 81 et 85 on constate qu’il s’agit davantage d’une tendance de fond consacrée, il est vrai, par le boulangisme, mais il n’y a en tout cas pas de rupture.
La critique de la politique coloniale a disparu à droite, forcément, Boulanger, et son ultimatum à l’Allemagne, avaient failli provoquer une nouvelle guerre.
Autre trait intéressant et tendance là aussi de fond, la banalisation du terme
République à droite, l’analyse montre bien que les critiques portent désormais sur la politique quotidienne des républicains et non plus sur le régime de la République. Cette critique des républicains se traduit par un souci polémique d’honnêteté et d’économie des finances.
Alors, y a-t-il des transformations parallèles à gauche ?
La Gauche elle, présente une interface moins dynamique, il faut dire qu’elle est désunie, ce qui n’était pas le cas aux élections précédentes. Elle a tendance à se présenter comme l’instrument d’une continuité. Devant faire silence dans certains domaines comme l’économie, là où elle est attaquée. Elle crée pour ainsi dire un nouveau front, celui de la question sociale, et tenta timidement d’y apporter une réponse.
Au total on voit donc bien que l’élection de 1889 estompe certains thèmes, et pose de nouvelles bases, en deçà des constantes comme je l’ai déjà souligné.
L’analyse fut satisfaisante car elle a pu déceler de grandes tendances. Mais Antoine Prost n’en attire pas moins l’attention du lecteur sur les limites de la méthode d’où la nécessité du recours à l’analyse factorielle.
II – L’analyse factorielle du vocabulaire des élections de 1881 puis de 1889A – La méthode de l’analyse factorielle et ses enjeuxL’analyse factorielle est un procédé complexe dont on ne saurait revenir sur les détails.
Ce qu’il faut en retenir c’est la fidélité du procédé.
L’analyse statistique de fréquence contrastée mettait de côté certains aspects pour mieux en révéler d’autres, mais elle ne traitait pas la source dans le caractère entier de sa dimension.
L’analyse factorielle permet de restituer graphiquement, mais de manière abstraite toute la complexité des données initiales en manifestant des liaisons de fait et les correspondances qu’il serait possible de déceler derrière cette complexité. Elle n’interprète pas, mais elle permet de révéler des similitudes, des distances, et des dépendances occultes. À l’historien ensuite d’interpréter ce qu’il a sous les yeux.
L’analyse factorielle passe donc par l’utilisation de facteurs. On peut avoir autant de facteurs que la plus petite dimension de la matrice de départ. Ce qu’il faut comprendre c’est que l’extraction des facteurs est une opération mathématique qui porte sur des nombres et non pas sur des sens. Les facteurs n’ont donc pas de sens et à l’historien d’en donner car les facteurs permettent des regroupements qui sont bien réels.
Chaque facteur est à la fois facteur pour l’ensemble des députés étudiés et pour l’ensemble des termes, et l’interprétation des groupements de députés est solidaire et ne peut se dissocier donc des constellations de termes puisqu’on cherche avec cette analyse à croiser termes et députés.
Au total A. Prost et son équipe ont établi 5 facteurs, qui se comprennent de manière dégressive. Le premier est plus important que le second, qui est plus important que le troisième etc…
Cette technique nécessite d’intégrer en priorité les données qui sont les mieux entrecroisées car les cas exceptionnels, type un mot utilisé par un député, se trouverait en marge du graphique, flotterait loin du reste, sans possibilité d’en donner une analyse, c’est donc une donnée inutile.
On a pour résultat des diagrammes dans un espace à deux dimensions, avec deux axes F1 et F2, axes qui rappellent des nuages de corrélation. Il ne faut pas interpréter les diagrammes selon le schéma, car les facteurs sont construits de sorte à ce que la corrélation soit nulle. La signification qu’on donne à des axes résulterait alors d’une interprétation de l’historien et ces axes ne peuvent êtres considérés comme une grille de lecture.
B – la configuration lexicale et politique de 1881L’analyse factorielle a été réalisée grâce à un procédé informatique. Elle a été effectuée sur tous les députés, soit 554 individus, donc 554 proclamations, avec une fiche par député, et seuls 53 vocables ont été retenus pour l’analyse. Ces 53 vocables choisis l’ont été non pas en raison de leur fréquence mais bien en raison de leur sens. On a donc parmi les vocables étudiés des termes de fréquence très différenciée, à la fois donc ceux qui marquent nettement les divergences politiques à la fois ceux dont on atteste qu’ils soulignent davantage la convergence politique.
Au terme de l’analyse A. Prost est parvenu à situer avec précision les députés les uns par rapport aux autres en fonction des termes employés dans leurs professions de foi électorales. L’analyse permet donc de dépasser les étiquettes politiques pour se concentrer sur les hommes et leurs discours.
Le principal résultat qui a été obtenu fut un clivage Gauche/Droite, petite déception car il est apparu que la structure du langage politique est donc bel et bien proprement politique, et comme l’écrit A. Prost : « L’histoire, ici, l’emporte sur la linguistique ».
Mais ce résultat ne pouvait en réalité que souligner les limites de la méthode employée, rappelez-vous des 53 vocables choisis en fonction de leur sens. En réalité, et je cite une nouvelle fois Antoine Prost : « Nous avons retrouvé au terme de l’analyse l’hypothèse même qui avait présidé au choix des données ».
L’analyse est fructueuse tout en faisant preuve de limites manifestes. Elle nécessitait donc d’être mise à l’épreuve une nouvelle fois. Ce sera fait avec les élections de 1889, car celle de 1885, rappelons-le ne pouvaient pas fournir la matière d’une analyse factorielle irréprochable. En effet, le scrutin de liste polarise, comme le souligne A. Prost, les élections entre deux ou trois tendances, et fait donc reculer les particularismes individuels en réalisant à l’intérieur de chaque liste une sorte d’agrégation des nuances politiques.
C – La configuration lexicale et politique de 1889Echantillon : d’abord de 36 puis de 113 députés, 1/5 de l’ensemble, choisis en fonction de deux critères croisés : la tendance politique, la région représentée. C’est un choix qui procède d’avantages comme d’inconvénients, les avantages l’emportant.
On a vu que pour les élections de 1881, le problème portait sur le choix subjectif des termes analysés. Là, pour 1889, A. Prost et son équipe ont effectué le plus objectivement possible un échantillon de termes.
Comment cela a-t-il été fait ?
Je vous ai dis que l’échantillon initial était de 36 députés avant d’être de 113. Hé bien c’est au sein de cet échantillon qu’a été effectuée la liste des termes à analyser. Au total, 240 termes avec un critère, une fréquence totale supérieure à 10 dans cet échantillon initial. D’emblée une première limite à l’analyse car ces 240 termes n’aurait pas nécessairement été les plus fréquents dans les 113 listes définitives.
Quoiqu’il en soit, conformément au parti pris en amont de l’étude concernant la définition du vocabulaire politique, A. Prost et son équipe ont choisi d’incorporer à l’analyse des mots dénués de sens à proprement parler.
Malgré tout, la conclusion de cette seconde analyse factorielle fut probante et on peut distinguer trois caractéristiques majeures.
Premièrement, se dégage clairement une opposition Gauche/Droite, cette fois-ci particulièrement solide du point de vue de la méthodologie employée.
Second élément d’interprétation, un centre politique vague dans ses objectifs, peu critique du gouvernement et peu soucieux de se lier les mains, face à une périphérie plus critique parlant davantage des fins visées par la politique que de ses moyens.
Troisième élément d’interprétation, l’opposition de la thématique de la révision constitutionnelle à celle des affaires. Troisième élément qui se distingue du second élément d’interprétation, car il ne dépend pas de l’attitude à l’égard du gouvernement.
Au terme de cette analyse A. Prost souligne que ce travail ne permet pas d’éluder la lecture des proclamations. L’analyse factorielle n’est qu’un outil qui vient compléter ce travail un peu à la manière d’un microscope. Deuxièmement, l’analyse en fonction de la fréquence des termes a contribué à écarter des termes significatifs et c’est une limite qu’il faut aussi avoir en tête. Donc au final le bilan peut paraître relativement douteux.
Le problème de ce genre d’analyse, c’est que : ou bien on a des résultats très nets comme en 1881, mais les fondements prêtent à contestation, ou bien on a des bases irréprochables et on ne parvient pas à aboutir à des conclusions nettes.
Finalement cette analyse abouti donc sur des conclusions solides, puisque même l’analyse portant sur des données qui ne sont pas signifiantes et avec des termes neutres a permis de dégager un facteur droite/gauche ainsi que de deux autres grilles de lectures plus complexes que j’ai exposé plus haut : « c’est la découverte d’un ordre dans un magma, d’un sens inhérent au langage au-delà de ce qu’il vise explicitement ; et cet ordre et ce sens sont politiques. Voilà la conclusion fondamentale qu’autorise l’analyse factorielle des proclamations de 1889 ».
D – L’évolution : primat des orientations politiques ou des problèmes ?Malgré le fait que les données soient difficilement comparable d’une élection à l’autre, à cause d’une démarche sans cesse plus fine, A. Prost et son équipe ne pouvaient passer outre une analyse diachronique du vocabulaire de 1881 et celui de 1889.
Cela les a conduits à procéder à deux nouvelles analyses factorielles avec leurs problèmes méthodologiques, cela va sans dire, étant donné le traitement préalable des données.
Ces deux analyses furent convergentes, remarquablement convergentes même d’après A. Prost. Alors que soulignent-elles ?
Une nouvelle fois, et dans un premier temps, l’opposition de la Gauche et de la Droite. Les continuités sont plus donc plus fortes que les évolutions : « la synchronie l’emporte sur la diachronie, la structure sur les évènements ».
Une nouvelle fois, il y a des limites à ce résultat et cette limite tient à la nature même des sources et au caractère rituel qui fige l’expression, si bien que la continuité du vocabulaire électoral n’autoriserait pas à affirmer la continuité globale du vocabulaire politique.
Autre réserve : le laps de temps très court : huit années. Dès lors observer la persistance d’une structure bipolaire n’a rien de surprenant. Or si on prolongeait l’enquête la structure diachronique pourrait prendre le dessus, la question étant de savoir à quel moment se produirait ce retournement.
En somme la question que pose A. Prost est celle de l’identification des temps de rupture et de discontinuité dans l’évolution politique. A. Prost invite ainsi à prolonger et à élargir ce type d’enquête, de façon systématique, pour peut-être reconsidérer la périodisation de notre histoire politique « que les révolutions, les guerres ou les coups d’Etat jalonnent empiriquement ».
En conclusion Antoine Prost procède à un examen critique des conclusions obtenues et des méthodes.
En premier lieu il pose une question, qui vous paraît plus que manifeste j’en suis sûr :
« Ne suffisait-il pas de lire les textes avec l’intelligence en éveil pour aboutir à ces remarques?»
Selon lui il s’agit d’un faux débat, car le fait que la méthode qualitative aboutisse aux mêmes résultats que la méthode quantitative prouve bien l’efficacité de cette dernière. D’autre part les méthodes quantitatives permettent une analyse plus fine et attire l’attention sur des termes d’apparence anodine dont il faut procéder à l’examen. Pourquoi boisson est-il à gauche ? Pourquoi menacer est-il à droite ? Voilà l’avantage des méthodes quantitatives.
La conclusion, si naïve soit-elle d’une opposition de la droite et de la gauche implique trois corollaires importants.
Premier corollaire, cette opposition prévaut au niveau le plus élevé sur les autres distinctions, et c’est une chose que l’on peut affirmer avec certitude pour les élections de 1881, 1885, 1889. Ce n’est peut-être pas le cas pour d’autres élections.
Second corollaire, cette opposition, qui est permanente au cours des trois élections, suggère que le vocabulaire électoral est déterminé davantage par les orientations politiques que par les conjonctures. Plus précisément, on voit qu’il y a développement d’un vocabulaire politiquement orienté propre à chaque conjoncture. L’opinion domine donc les préoccupations.
Troisième corollaire, auteurs et vocabulaires étant lié on peut procéder à l’inverse et par le résultat obtenu permettre d’inférer du message aux caractères de leurs auteurs ou de leurs destinataires.
A. Prost revient ensuite sur les limites méthodologiques du travail effectué que je vous ai exposé au fil de cette présentation.
La valeur de cet ouvrage dans l’historiographie française est certaine. A. Prost et son équipe sont les premiers à avoir utilisé de telles méthodes d’analyse à des fins historiques, elles diffèrent d’une élection à l’autre, on l’a vu. L’analyse de 1881 et celle de 1889 ne reposent pas sur le même type de données, et pour cause, l’appareil informatique qui allait servir pour 1889 n’existait pas lorsqu’ils étudiaient l’élection de 1881, ils ont donc procédé à un découpage différent des données.
Néanmoins, ce travail met bien en valeur l’apport considérable pour l’historien que constitue les méthodes analytiques de la statistique et de l’informatique. Ces outils ouvrent des champs de recherche nouveau à condition que l’historien soit alerte face au travail qu’il va effectuer et surtout face aux outils qu’il va utiliser. Ces méthodes aussi efficaces soient-elles ne peuvent écarter la nécessité d’objectivité, de cohérence et de rigueur qui sont propres au métier d’historien.