07 juin 2006

Pour un journal populaire


On appellera cela synchronisme ou hasard, hier deux évènements, l’un très médiatisé, l’autre pas, ont concordé. Le hasard ne fait rien qui n’y soit préparé à l’avance écrivait Tocqueville, et je vous en apporte la preuve grâce à ces quelques lignes.

Hier, j’avais rendez-vous avec Patrick Eveno, maître de conférence à Paris 1 et historien des médias. Nous devions nous entretenir une vingtaine de minutes, dans le cadre d’une enquête sur la presse quotidienne nationale (PQN) ; une enquête que je réalise avec quelques camarades de l’UFR de science politique. Évidemment notre enquête était problématisée autour de la crise de la PQN, et l’arrivée sur la place publique des quotidiens gratuits tels que Métro ou 20 minutes, figurait parmi les enjeux que nous devions tenter d’analyser.

Hasard ou synchronisme, c’est aussi hier, mardi 6 juin, qu’est sorti le premier numéro d’un nouveau quotidien gratuit, du soir cette fois-ci : Directsoir. L’enquête que mes camarades et moi avions mené avait révélé un manque spécifique à la France, un manque que cristallisait la crise de France Soir : l’absence d’un véritable quotidien populaire. Outre Manche, le Sun, pour ne citer que ce tabloïd-ci, c’est quatre millions de ventes par jour, six millions de lecteurs quotidiens. La PQN française jouit d’une image d’excellence et il y a eu véritablement un hiatus entre cette image et la possibilité de créer un journal véritablement populaire, si bien qu’aujourd’hui, c’est la gratuité qui offre à Directsoir la possibilité d’exister.

Comme me l’expliquait Patrick Eveno, la France n’a pas su, à la différence des Britanniques, prendre le virage populaire au cours des années cinquante et soixante. La crise de la PQN est donc bien plus ancienne. La France, fantastique muséum en plein air avec de la bonne bouffe, snobe le vulgaire tabloïd anglais, et enfonce sa PQN et sa presse régionale dans l’austérité. Le vent semble avoir tourné avec Directsoir. N’aurait-il pas tourné avec Metro et 20 minutes ? Différence fondamentale, Directsoir comme son nom l'indique n’est pas du matin. De ce critère découle l’ensemble du journal, pas de mots croisés ni de sudokus - qui ont fait le succès des deux autres gratuits - mais de l’information, de la culture, et évidemment du people (n’a-t-on pas le droit de rêver en sortant du boulot ?). Du coup, Directsoir, c’est aussi le journal que l’on a dans sa main ou dans son sac lorsque l’on rentre à la maison.

Selon la formule de Boloré, à l’origine de ce journal, Directsoir c’est le « quotidien populaire qui incite à sortir du quotidien ». Boloré a lancé Directsoir en la compagnie entre autres de Philippe Labro, un vieux de la vieille des médias populaires (dont vous pouvez voir la bio ici). Une bonne équipe pour un gratuit de qualité, pas pédant pour un sou, et doté d’une infographie qui offre de multiples ouvertures au lecteur, qui n’est rien de plus que potentiel lorsqu’on lui met le journal dans les mains. Pas d’extravagances, des formes et des encadrés simples, un grand format 29,8 sur 39 centimètres qui permet d’autant mieux de rentrer dedans. Des articles, des citations, et des photos, beaucoup de photos, quatre-vingt par numéro. Le journal se divise ensuite selon quatre séquences : les évènements phares, l’actualité, le sport et la culture, enfin, la vie des people et la télévision. Enfin une diffusion relativement large, 500 000 exemplaires, à la criée, dans quinze villes de France, et un budget impressionant : vingt millions d’euros.



Hier, j’ai donc été agréablement surpris, et heureux de voir qu’une telle initiative ait pu être prise en France. J’ai lu le numéro un, et j’ai quitté la bibliothèque plus tôt pour voir ce que celui d’aujourd’hui donnerait. J’étais dans le quartier des Halles et il m’a été extrêmement facile de trouver le point de distribution, tout le monde avait Directsoir en main, il m’a été donc aisé de remonter à la source. On m’a donné le journal, j’ai levé la tête et j’ai regardé autour de moi. Tout le monde avait les yeux plongés dans les pages du nouveau gratuit. J’ai lu le numéro 2, qui comble d’ironie, s’est permis un pied de nez en saluant la sortie de la nouvelle formule de France Soir.

Je me félicite en tout cas de l’arrivée de Directsoir, un véritable quotidien populaire, car comme me le disais M. Eveno : le but d’un journal, n’est-il pas de mettre sur la place publique? Il me disait aussi, que la lecture c’est important, rien à voir avec l’écoute ou la télévision, car « quand on lit on réfléchit ». Je ne saurai être en désaccord avec lui ce soir, et en attendant demain, je vous remercie de m’avoir lu.

14 Comments:

Anonymous Anonyme said...

"le but d’un journal, n’est-il pas de mettre sur la place publique?"

Jusqu'à là, nous sommes d'accord. Mais encore faut-il s'interroger sur ce que l'on met sur la place publique.

Ovationner le Sun pour ses 4 millions d'exemplaires vendus par jour, c'est un peu facile...Il faut aussi voir la QUALITE de l'onformation diffusée. Car oui, il existe un critère de qualité dans l'info. Cette qualité dépend de la source, du traitement journalistique plus ou moins "spéctacularisé", des parralèles évoqués, des résumés explicatifs, de la mise en page, de la composition des des "dossiers", etc.

Si ce nouveau gratuit respecte ces critère, il y a de quoi le saluer. Mais s'il s'agit de faire croire à "la place publique" que l'information principale info de la journée est l'accouchement de Britney Spears,alors il faut s'interroger.

Car les médias sont vecteurs ET créateurs d'actualité. Ceci est bien connu.

12:43 AM  
Anonymous Anonyme said...

Parmi les journaux papiers populaires, réellement destinés au peuple, et payants, on peut citer le Parisien qui abrutit les foules avec un traitement baclé de l'information...
Toujours dans le rayon 'prenons les Français pour des cons', accordons une place au journal télévisé de TF1 où on nous montre comment fabriquer une bonne ratatouille pendant 15 minutes.

Tout ça pour dire que je suis favorable aux journaux gratuits qui ciblent leurs lecteurs (càd ceux qui suivent l'actualité de très très loin).
Mais il ne faut pas tomber dans l'écueil de faire de la mauvaise presse en publiant des informations simplifiées et parfois biaisées pour la compréhension (limitée, pensent-ils) du Peuple.

2:37 PM  
Blogger Stanislas Kraland said...

Je ne me ferai ici que l'écho de Patrick Eveno. Oui le Sun c'est trash, c'est people, c'est tout ce qu'on veut. Il n'empêche que dans le Sun, il y a bien plus à lire que dans métro ou 20 minutes. Dans le Sun il y a du culturel, du people, de la politique bien sûr, et du sport.

Qu'on ne me rabache pas avec le sport. En voir de plus en plus dans nos médias ne me dérange pas plus que cela, après tout si cela donne envie aux gens de faire du sport?

En ce qui concerne le people, aucune époque n'a jamais connu l'absence de vices, et voici certainement celui de notre modernité. Cela dit, quand je vois Brad Pitt et Angelina Jolie vendre les photos de leur fille, en vue de reverser l'argent à une association, je me dis que l'on a parfois tort d'être manichéen...

Non Directsoir est pas mal, en première une, Bernard Kouchner, la seconde, Arlette Laguiller, bon d'accord la troisième Carla Bruni...à suivre donc, mais il ne faut pas juger avec trop de hâte le Sun, et encore moins Directsoir. Je préfère que les gens lisent une information moyenne, pas forcément académique, que rien du tout.

Ce n'est pas être méprisant que de dire d'un journal qu'il est populaire. C'est accepter que certains lecteurs n'ont pas forcément fait des études, et ne sont pas bac +5. N'oublions pas qu'un journal est un produit : il faut vendre du papier.

Pour faire de l'information il faut une rédaction, pour avoir une rédaction il faut la payer, pour la payer il faut l'argent des annonceurs, et pour avoir des annonceurs il faut des lecteurs, et pour avoir des lecteurs il faut les satisfaire.

Il y a un équilibre subtil à trouver entre le véritable bonheur du journaliste, diffuser de l'information ; et les obligations inhérentes à l'existence même d'un journal.

Quand on lit, on réfléchit. Quand on regarde la télé, beaucoup moins, et pas de la même manière en tout cas. Je suis pour la lecture, quitte à ce qu'elle ne soit pas du niveau de l'agrégé de philosophie, maître de conférence à l'ENS.

TF1 comme France 2 ne font pas de l'information dans leur vingt heure, ils n'ont pas de scoops, ils ne font que reprendre les infos de la presse écrite, et fidéliser une clientèle entre un avant prime time et un après prime time. L'information, la vraie, l'analyse, elle se trouve dans la presse écrite, et même dans la presse écrite de mauvaise qualité, gratuite ou payante.

Je suis beaucoup plus satisfait par la formule d'un Directsoir que par la nouvelle formule d'un France Soir, qui a pris son virage à 360°, qui en fournissant un journal pour le coup beaucoup trop populaire, va se retrouver pour ainsi dire au même endroit : au point mort.

2:49 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je me demande toujours si les journaux se mettent au niveau de leurs lecteurs, ou au contraire façonnent leur lecteur. Le journal de TF1 s'adresse ouvertement, et il le revendique, à un public ciblé, pas franchement en quête de savoir, mais qui a plutôt besoin d'être rassuré ds son quotidien. Les images de morts somaliens ou tchéchènes à l'heure du déjeuner ou du dîner, ça coupe l'appétit...c'est dommage, mais c'est une réalité de l'audiovisuel aujourd'hui. La presse écrite tend, il me semble, à évoluer de la même façon. Pr que les gens lisent le journal ds le RER le matin, il ne faut pas que le journal en question leur gâchent la journée. les premiers numéros de Directsoir me semblent effectivement moins sombrer ds ce défaut que d'autres titres payants, comme France Soir ou le Parisien.
En conclusion une citation d'un de mes films préférés, Zoulou: "les civils n'aiment pas les communiqués de défaite, ça gâche leur breakfast"...

11:21 PM  
Blogger Raphaël Morán said...

Je persiste et je signe : Direct soir n'est qu'un ramassis de publicité qui refuse de s'assumer comme tel ! J'ai feuilleté les dernières pages du journal, consacrées au programme télé. On peut y lire des recommandations d'émissions de TF1, et surtout de Direct 8 ! Comme par hasard...

11:06 PM  
Blogger Stanislas Kraland said...

Raphaël,

Ta remarque est absolument ridicule.
Ne prend plus le métro, la RATP fait de la pub pour la RATP, ne va plus chez Décathlon, ils font de la pub pour leurs tentes. Ne regardent plus arte, ils font de la pub pour leurs programmes.

Quant à la publicité dans Directsoir, il y en a 4 pages par numéro, je t'invite à comparer avec Le Monde, L'Huma, Metro, 20 minutes, bref tout quoi...Ah oui, et j'oubliais, n'allume surtout pas ta télé, tu risquerais de te faire du mal!

Ok pour TF1, sans doute pas la chaîne la plus éclairante qui soit, loin de là, mais de là à accuser Directsoir de diriger leurs lecteurs vers un programme de TF1, c'est franchement réducteur et indigne de ta part. Que l'on aime pas TF1 d'accord, mais que l'on raisonne à l'inverse : "parce que c'est sur TF1 c'est scandaleux", est carrément niais. Attention au prochain match du Mexique, il risquerait de passer sur TF1 tu pourrais le louper...

En ce qui me concerne à m'a remis Directsoir dans les mains cet après-midi, la une sur Bayrou, et une interview de lui...Comme une, ça me va très bien merci.

2:14 AM  
Blogger Stanislas Kraland said...

Je suis aussi très fan de Zoulou, j'en aime aussi beaucoup la parodie qu'en ont fait les Monthy Python. Parodie que l'on peut voir dans le dvd La première folie des Monthy Python.

2:16 AM  
Anonymous Anonyme said...

Hello Stan !
Un commentaire de soutien... Enfin, pour une fois, une chronique qui ne démonte pas DirectSoir !
Car je partage ton point de vue. C'est un peu facile de penser à l'abrutissement des masses (certes réel - mais quand a commencé l'abrutissemnt ?) du Parisien, des films hollywoodiens, etc...
Je ne crois pas que Matrix soit un film dangereux faisant le lit du fascisme international (certains le pensent... grand succès, messianisme, etc), pas plus que Amélie Poulain, Métro, 20 minutes, DirectSoir, Qui veut gagner des millions... et que dire du foot ! Horrrible, le foot ! quoi de plus populaire (synonyme de "bête" pour crtains ?) que le football. Ce déchaînement de passions, ce manque de recul...

La télé, par l'habitude qu'elle donne des images permet une plus grande distanciation par rapport à celles-ci... Quand on a vu cent images de quelquechose, la cent-unième parait bien fade. c'est une idée étrange mais défendable. faisons un peu avancer le débat.

Comment ne pas être d'accord avec Eveno ? Evidemment, que lire c'est réfléchir. Même lire quelque chose d'aussi absurde que le Da Vinci Code. même les "Chairs de Poule" (rappelez-vous, les mauvais livres pour enfants).

Le Monde ne sera JAMAIS lu par la France entière. Si DirectSoir permet un accès à l'actualité s'ajoutant au 20h pour le citoyen lambda, c'est formidable. Car ce citoyen-là est peu adepte de Courrier International, du Magazine Littéraire, du Figaro et de Le Monde.

Quant à ceux qui veulent faire lire du Kant à toute la population.. ceux-là m'inquiètent parfois.
Le débat est ouvert... :)

7:53 PM  
Anonymous Anonyme said...

... relativisons, mais voyons venir. Ce n'est pas une simple crise de la presse écrite française. c'est plus.

7:40 PM  
Blogger Stanislas Kraland said...

Dans cette perspective, c'est toujours "plus"...

6:49 PM  
Blogger Stanislas Kraland said...

Walid, la PQR se porte bien?
Ouest France se porte bien, mais c'est tout...Je ne m'aventure pas plus, je ne connais pas bien le sujet, mais j'ai souvent eu l'occasion de lire ou d'entendre le contraire de ce que tu affirmes.

6:51 PM  
Anonymous Anonyme said...

Plus, c'est-à-dire que c'est la vraie-fausse mort de France-Soir, le déclin complet de Libé qui va très mal, etc... Chose étrange, le seul journal a avoir GAGNE des lecteurs l'an passé, c'est La Croix ! Le seul.
Sur le déclin (pas la mort) de la presse-papier, lire les ouvrages du spécialiste des médias Jean-Louis Missika, par exmeple. L'internet (sur lequel tu es en train de surfer, lecteur) fait partie de cette (r)évolution.
Pire : dans cette (r)écolution, la France est très loin d'être le pays qui s'en sort le mieux... Stan évoquait à raison la presse anglaise. Et dire qu'il y a un siècle, la France avait la presse la plus populaire, la plus dynamique et la MEILLEURE (point de vue tirages) du monde... (cf "Le siècle de la Presse" de Christophe Charles)

12:45 AM  
Anonymous Anonyme said...

PS : quand je dis "gagner" des lecteurs, c'est : ne pas en perdre. Il y a déclin, pas stagnation.

12:47 AM  
Anonymous Anonyme said...

Je confirme ce qu'a écrit le démagophage (mdr - quel pseudo !) : Le Monde perd des lecteurs, le Figaro perd des lecteurs, chaque année un peu plus.

12:51 AM  

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